Le fait d’être engagé avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif suffit-il à justifier des différences de traitement ?
Le principe « à travail égal, salaire égal » vous oblige à assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique. Toute disparité de traitement doit être justifiée par des critères objectifs, vérifiables et étrangers à toute discrimination. Comment ce principe est-il retranscrit à la négociation collective ?
Différences de traitement par accord collectif : certaines sont présumées justifiées
Pour rappel, les différences de traitement opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, sont présumées justifiées.
Pour renverser cette présomption, le salarié doit démontrer que les disparités sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.
Pour autant, la Cour de cassation refuse de reconnaître une présomption générale de justification de toutes différences de traitement opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs.
En l’état actuel de la jurisprudence, sont présumées justifiées les différences de traitement opérées par voie de convention ou d’accord collectif :
- entre catégories professionnelles ;
- entre salariés exerçant, au sein d’ une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes ;
- entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts ;
- entre salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts.
Il en va de même des accords de substitution. La constance de la jurisprudence en la matière sécurise une typologie d’accord collectif qui instaure une différence de traitement entre les salariés afin de gérer une période de transition, souvent délicate, ouverte par la mise en cause des accords en vigueur. Dans ce contexte, les compromis prévus par l’accord de substitution constituent souvent la seule issue possible.
Toute autre différence de traitement doit être justifiée au moyen de raisons objectives, dont le juge contrôle la réalité et la pertinence.
Accord de substitution : quelle présomption de justification des différences de traitement ?
Dans trois affaires jugées fin septembre par la Cour de cassation, un accord de substitution réorganisait le travail posté en marche continue, passant de quatre à cinq équipes avec réduction du temps de travail.
A titre de compensation, l’accord accordait une revalorisation de 10 % du salaire de base et une prime forfaitaire, réservées aux salariés présents dans les effectifs au jour de sa signature, travaillant en service continu et subissant une perte de salaire due à cette réorganisation.
Les syndicats contestaient la différence de rémunération entre salariés engagés avant ou après l’entrée en vigueur de l’accord, malgré qu’ils relèvent d’un même coefficient. Les juges du fond leur ont donné raison, considérant que tous les salariés en service continu étaient placés dans une situation identique au regard des avantages de l’accord. Ainsi, la différence de traitement fondée sur la date d’embauche, bien que prévue par accord collectif, n’était pas présumée justifiée.
La Cour de cassation casse et annule cette décision en rappelant que :
- la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ;
- sauf si cet accord collectif a pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur.
Les juges auraient d’abord dû vérifier si l’accord de substitution était destiné à compenser la perte d’avantages individuels acquis, avant d’exiger de l’employeur qu’il justifie une inégalité de traitement.
La cour d’appel de renvoi devra donc déterminer si l’inégalité de traitement instaurée par l’accord de substitution visait à compenser un préjudice subi par les salariés déjà présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur. Dans l’affirmative, la différence de traitement serait présumée justifiée.
Cour de cassation, chambre sociale, 24 septembre 2025, n° 24-17.698 / 24-17.695 / 24-17.687 (la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord n’a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur)