Réintégration du salarié protégé : l’employeur peut s’y opposer en vertu de son obligation de prévention du harcèlement sexuel
Un employeur peut, en vertu de son obligation de sécurité, procéder au licenciement d’un salarié harceleur et acter sa mise à pied le temps de la procédure. Mais une difficulté peut être parfois rencontrée si le salarié est protégé. Et pour cause, si l’administration refuse d’autoriser le licenciement, l’employeur pourrait être tenu de le réintégrer dans l’entreprise. A moins que son obligation de sécurité ne justifie, justement, l’impossibilité d’y procéder…
Réintégration du salarié protégé mis à pied : elle peut être demandée si l’Inspection du travail refuse d’autoriser le licenciement
En vertu de son obligation de sécurité, il appartient à l’employeur d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir, sanctionner et mettre fin à des faits de harcèlement sexuel (Code du travail, art. L. 1153-5).
La réaction de ce dernier pourra, le cas échéant, se traduire par l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre du salarié harceleur. Procédure qui, généralement, sera précédée ou accompagnée par le prononcé d’une mise à pied conservatoire.
Notez le : la mise à pied conservatoire, en ce qu’elle provoque la suspension du contrat de travail du salarié, privera ce dernier du versement de son salaire.
Mais lorsque cette procédure vise un salarié protégé, tel qu’un élu du CSE ou un délégué syndical, l’employeur doit, pour acter sa mesure, recueillir une autorisation auprès de l’Inspection du travail.
Cependant, si l’administration rejette cette demande, la mise à pied notifiée se retrouve privée d’effet. Par conséquent, le salarié doit, s’il le souhaite, être immédiatement réintégré et percevoir les salaires dont il a été privé. Et ce, même si l’employeur forme, par la suite, un recours contre la décision de refus de l’Inspection du travail.
Pour autant, l’employeur conserve la faculté de s’opposer au retour du salarié dans l’entreprise. Pour cela, il doit disposer d’un motif le plaçant dans l’impossibilité d’y procéder.
Se présente alors l’interrogation suivante : cette impossibilité de réintégration, peut-elle se justifier par l’existence d’un risque de harcèlement sexuel ?
Réintégration du salarié protégé mis à pied : impossible lorsque l’employeur invoque un risque de harcèlement sexuel
La Cour de cassation l’affirme depuis un certain temps déjà : l’impossibilité de réintégrer un salarié peut être caractérisée si l’employeur invoque l’existence d’un risque d’harcèlement sexuel. Risque dont il est tenu d’assurer la prévention conformément à son obligation de sécurité.
Mais en invoquant ce motif envers un salarié protégé, l’employeur risque, d’autre part, d’être confronté à l’accusation suivante : celle de violer son statut protecteur et de commettre un délit d’entrave. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 janvier 2025 fournit, sur ce point, une parfaite illustration.
Présentement, plusieurs salariées avaient relaté qu’un de leur collègue, alors délégué syndical, s’était rendu coupable d’attitudes insistantes, de gestes déplacés ainsi que de contacts physiques non désirés (baisers proches des lèvres, caresses dans le dos).
Suite à ces signalements, l’employeur avait instantanément réagi. Le délégué syndical avait été mis à pied et une procédure de licenciement avait été engagée. Or deux mois plus tard, l’Inspection du travail avait rejeté la demande d’autorisation de licenciement.
Informé de sa non réintégration, le salarié avait décidé de prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Ce dernier faisait notamment valoir que l’employeur s’était rendu coupable d’un délit d’entrave.
Les premiers juges vont alors retenir que :
- l’employeur ne démontrait pas qu’il était dans l’impossibilité de procéder à la réintégration du salarié ;
- la prise d’acte était justifiée et que celle-ci devait produire les effets d’un licenciement nul.
Mais la Cour de cassation va considérer, à l’inverse, que les juges auraient dû rechercher si, comme l’avançait l’employeur, l’impossibilité de réintégrer le salarié n’était justement pas motivée par la nécessité de protéger les salariées de l’établissement. L’affaire devra donc être rejugée.
Bon à savoir : si les nouveaux juges estiment que l’obligation de sécurité de l’employeur lui commandait de ne pas réintégrer le salarié, les arguments présentés par le salarié au soutien de sa prise d’acte n’auront plus de valeur probante. Auquel cas, celle-ci produira les effets d’une démission.
Cour de cassation, chambre sociale, 8 janvier 2025, n° 23-12.574 (le salarié protégé, mis à pied à titre conservatoire et dont la demande d’autorisation administrative de licenciement a été refusée par l’administration du travail, doit être, s’il le demande, réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent, sauf si l’employeur justifie d’une impossibilité de réintégration)