Exercice du droit de grève : à qui incombe la charge de prouver un abus ?
Le droit de grève constitue un droit fondamental à valeur constitutionnelle. Dès lors, seule une faute lourde dans l’exercice de ce dernier peut justifier le licenciement d’un salarié gréviste. Encore faut-il être en mesure de la prouver.
Droit de grève : un exercice protégé mais limité
La grève est définie par la jurisprudence comme :
- une cessation collective et concertée du travail ;
- en vue d’appuyer des revendications professionnelles.
Si la grève implique généralement l’occupation des locaux professionnels ou la mise en œuvre de piquets de grève à l’entrée des locaux, de telles pratiques ne doivent pas porter atteinte à la liberté du travail des autres salariés non-grévistes, notamment en leur empêchant d’entrer dans l’entreprise.
Les salariés exerçant sans abus leur droit de grève, dans le cadre d’un mouvement licite, bénéficient d’un régime protecteur. En effet, l’exercice du droit de grève :
- ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux ;
- ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié, tout licenciement prononcé en absence de faute lourde étant nul de plein droit.
Bon à savoir : la faute lourde est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis et qui est commise dans l’intention de nuire à l’employeur.
Au rang des fautes lourdes justifiant le licenciement d’un salarié gréviste, sont habituellement reconnus :
- l’atteinte à la liberté du travail des autres salariés non-grévistes qui se verraient empêchés de gagner le lieu de travail ;
- la détérioration de biens ;
- les actes de violences ou de séquestration sur les personnes.
Mais à qui en incombe la charge de la preuve ?
Droit de grève : la preuve d’un abus repose exclusivement sur l’employeur
Dans une affaire récemment soumise à la Cour de cassation, des salariés grévistes, dans le cadre d’un mouvement social :
- ont empêché un camion de sortir de l’usine en se mettant devant le portail ;
- et ont empêché les non-grévistes de travailler.
L’employeur sanctionne l’ensemble des salariés concernés par une mise à pied pour abus dans l’exercice du droit de grève visant à rendre inaccessible la totalité des locaux de l’entreprise entravant de facto son activité.
Les salariés contestent la mesure en expliquant, au moyen d’une vue prise en hauteur de l’entreprise, éditée à partir du site gouvernemental « géoportail », qu’il existait un second accès à l’entreprise, lequel n’a jamais été contesté par l’employeur.
Pour les juges du fond, le syndicat n’établissait pas le fait que cet accès était effectivement accessible et utilisé par les non-grévistes le jour du mouvement social. La faute lourde était donc bien constituée pour entrave au bon fonctionnement de l’entreprise et obstacle à la liberté de travailler d’autres salariés.
A tort pour la Cour de cassation pour qui les juridictions du fond ont inversé la charge de la preuve.
Les sanctions ayant été prononcées en raison d’un fait commis au cours de la grève, il appartenait à l’employeur justifier lesdites sanctions par une cause étrangère à l’exercice normal du droit de grève, à savoir une faute lourde commise par les salariés
Pour ce faire, c’était à l’employeur de prouver l’inaccessibilité totale au site entravant l’activité de l’entreprise et non aux salariés grévistes sanctionnés.
La preuve de la faute lourde incombe donc toujours à l’employeur.
Cour de cassation, civile, chambre sociale 18 juin 2025, n° 23-19.391 (il appartient à l’employeur de prouver que les sanctions prononcées en raison d’un fait commis au cours de la grève, sont justifiées par une cause étrangère à l’exercice normal du droit de grève constitutive d’une faute lourde)